COVID : quels enseignements ?

Une conférence[1] organisée il y a peu à l’Université de Guyane proposait d’examiner ce que nous vivons depuis novembre 2019 par le prisme des sciences humaines et sociales, grandes oubliées de la gestion de cette crise.

La littérature scientifique – largement présentée par la conférencière Frédérique Grœne, psychologue clinicienne – est florissante et offre un grand nombre de précédents frappants d’actualité. Elle permet d’ouvrir la réflexion sur :

  • une approche biogéographique : la destruction accélérée des écosystèmes fait que l’émergence de nouvelles affections est cyclique depuis les vingt dernières années (SARS-CoV-1, MERS-CoV, Zika, Chikungugna…).
  • une approche psycho-anthropologique médicale : les précédentes grandes épidémies ont été porteuses d’enseignements majeurs tant au niveau intrapersonnel (effets psychiques de la quarantaine sur l’individu, capacité d’adaptation et de résilience, publics vulnérables psychiquement, …) qu’au niveau interpersonnel (représentations sociales de la maladie, rapports de domination induits par les interventions d’urgence, absence de dialogue transculturel et de réciprocité dans les protocoles, …)
  • et une approche sociétale : effet de repli sur soi auto défensif avec diabolisation de l’autre et recherche du bouc émissaire, résurgences de problématiques politiques…

Autant de facteurs qui mettent en danger le lien social, c’est-à-dire ce qui fait tenir une société.

La conférencière s’est intéressée dans un second temps, aux moyens mobilisés autour de la veille psychique en Guyane – surtout durant la phase de confinement total- et à leur utilisation par le public. Écoute spécifique par des infirmiers en psychiatrie, mobilisation des psychologues de l’hôpital de Cayenne auprès des équipes soignantes, mise en service par la CTG et l’Association Guyanaise des Psychologues d’un numéro vert d’écoute « covid ».

Frédérique Grœne

Frédérique Grœne a également évoqué les études portées et réalisées en temps réel aux Antilles et sur le département pour dégager les spécificités des transmissions, de l’adaptation et des réponses individuelles et communautaires.

Jamais dans l’histoire des épidémies, on ne retrouve autant de réactions aussi rapides dans autant de domaines ! Pour autant la diffusion planétaire sans précédent du virus questionne la mondialisation. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, le sentiment de sécurité (déjà ébranlé par la crise des attentats depuis 2001) est ouvertement menacé. Cela fait resurgir, de façon accélérée, les grandes peurs collectives et la peur soudaine de l’étranger. Mais c’est la mise à mal des enveloppes sociales (attaque du lien, mise à mal des rituels sociaux, affaiblissement des figures d’autorité) qui est peut-être la plus préoccupante.

Toute grande épidémie est un moment de test pour une époque. La marée COVID 19 a retranché le monde contemporain dans ses limites : limites individuelles (limite du corps vieillissant ou fragile, capacité à s’adapter, impacts traumatogènes des injonctions paradoxales, confusion des espaces (intime, privé, professionnel, public…) ; limites flagrantes d’un modèle de société (économie, santé, éducation…) ; limites de l’enveloppe groupale (repli identitaire, perte de la réciprocité et ressenti d’instrumentalisation des populations, difficultés à communiquer en prenant en compte des modèles socio-culturels différents du modèle biomédical dominant).

Et ce n’est pas fini ! Les précédents montrent là encore que les effets les plus déstabilisateurs se font ressentir en sortie de crise. La nécessité d’un changement de paradigme a éclaté en échos à chaque limite éprouvée. Il est certain que le COVID va engendrer de profondes mutations et une reconfiguration considérable des liens sociaux.

L’issue de cette pandémie doit par conséquent être anticipée et pensée dès maintenant !-


[1] « Écumes psycho-sociétales de la marée COVID 19 » par Frédérique GRŒNE, organisée dans le cadre des Jeudiconférences sur le campus Troubiran le 21 janvier dernier.