Le Grignon sous tous les angles

Un arbre comme tout être vivant se défend contre des agressions extérieures, pouvant venir d’ insectes, bactéries, champignons, ou virus… son environnement est loin d’être toujours sain ou favorable. Mais pour se défendre, l’arbre n’est pas seul : il est « épaulé » par le microbiote[1] qu’il « héberge ». Arbre et microbiote peuvent alors être considérés comme un seul « super-organisme » : l’holobionte.

Un véritable travail d’équipe

Comprendre comment les arbres se défendent nécessite de connaitre comment l’arbre, le microbiote et les pathogènes (microbes, insecte ou autres agresseurs) interagissent, s’organisent et communiquent entre eux. Une des bases de cette communication est le dialogue… qui peut être chimique. Les mots que sont les molécules (ou « substances naturelles » ou « métabolites d’intérêt ») produites par l’arbre ou les micro-organismes, vont ainsi contribuer à transmettre cette histoire de vie commune, pour le meilleur ou pour le pire !

Ce travail nécessite l’expertise de disciplines variées et complémentaires : sciences du bois, chimie, biologie, écologie microbienne, mycologie (étude des champignons), sans oublier les compétences permettant d’aboutir à une représentation en 3 dimensions, indispensable pour une compréhension globale[2]. Le Projet Tree-D est né de ce constat[3].

Son objectif est de réaliser une cartographie en 3D, des racines aux feuilles et de l’écorce à la moëlle, de l’ensemble des molécules ainsi que de l’organisation des micro-organismes intervenant dans les mécanismes de défense chimique et biologique de l’arbre. Ce travail est réalisé dans le cadre d’une thèse[4] menée par Marceau Levasseur à l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN).

Pour étudier un arbre en particulier

Le Grignon franc, Sextonia rubra, est un arbre de la famille des Lauracées[5]. Présent dans les zones forestières du plateau des Guyanes et du bassin Amazonien, il est utilisé pour les propriétés technologiques de son bois. À la fois tendre et durable, le Grignon franc est en effet la 3e essence exploitée par l’industrie forestière locale. Il a de nombreux emplois (construction bois, charpente…). C’est également un arbre dont certaines caractéristiques chimiques du bois sont déjà bien connues[6]. En particulier, le bois du Grignon produit deux composés originaux, le rubrénolide et le rubrynolide, qui présentent une activité anti-termite et vis-à-vis des champignons lignivores (qui attaquent le bois).

Le rubrénolide et le rubrynolide, aux côtés peut-être d’autres composés qui seront identifiés au cours du projet, aideront à décrypter les mécanismes de défense du Grignon. La cartographie 3D permettra de visualiser leur répartition spatiale dans l’arbre (écorce, bois, feuilles, fruits…).

En parallèle, les endophytes[7] seront étudiées sous un double prisme : des analyses génétiques permettront de comprendre comment ces micro-organismes s’organisent « géographiquement » dans les différents tissus de l’arbre ; une analyse des molécules produites par ces derniers permettra d’élucider le lien entre le profil chimique et la fonction biologique.

Le projet Tree-D espère ainsi obtenir une image aussi complète que possible du fonctionnement défensif de ce Grignon.

Prélevé sur une parcelle expérimentale

Un Grignon franc situé dans la zone de Paracou (dispositif expérimental forestier du CIRAD sur la commune de Sinnamary) a été abattu et échantillonné en octobre 2020. Arbre mature haut de 30 m, en cours de fructification, il a permis d’obtenir des échantillons de bois et d’écorce, de tronc et de branches, ainsi que des feuilles et des fruits : près de 350 échantillons issus de toute la longueur du tronc et des branches pour l’étude chimique et enzymatique, presque 200 échantillons pour l’étude des communautés microbiennes, 320 échantillons pour la mesure de la dégradation du bois par les micro-organismes du sol, une collection de 179 micro-organismes mis en culture après la mission.

Les travaux se poursuivent en Guyane (Laboratoire des sciences du bois et Laboratoire des substances naturelles amazoniennes de l’Unité Mixte de Recherche Ecologie des Forêts Guyanaises) et dans l’hexagone (Institut de chimie des substances naturelles à Gif-sur-Yvette, Unité Mixte de Recherche Interactions Arbres-Microorganismes à Nancy)[8].

Une mission d’importance pour Marceau Levasseur, avec à la clé, on l’espère, de belles histoires de travail en équipe !


[1] Un microbiote est un ensemble de microorganismes vivant chez un hôte dans un environnement donné : le plus connu étant le microbiote intestinal que chacun de nous a dans son système digestif.

[2] Ce type de « cartographie » a déjà été réalisé pour des pieds de tomate ou encore pour le corps humain ! Le « Human microbiote project », porté par l’agence de santé américaine de 2008 à 2012, a ainsi permis d’identifier des liens entre l’état de santé, les maladies et le microbiote d’hommes et de femmes.

[3] Le projet TreeD a été proposé et financé dans le cadre d’un appel à projet de la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) proposé à l’occasion des 80 ans de l’institut.  Plus d’informations ici : https://icsn.cnrs.fr/recherche/cbsa/ms/projet-tree-d

[4] Le travail de thèse est co-encadré par David Touboul, Directeur de Recherche CNRS à l’Institut de Chimie des Substances Naturelles (ICSN), et Emeline Houël, Ingénieur de Recherche CNRS au sein de l’Unité Mixte de Recherche (UMR) EcoFoG (Ecologie des Forêts de Guyane)

[5] Une famille qui compte aussi le bois de rose !

[6] Grâce à des travaux antérieurs menés par les équipes de l’UMR EcoFoG, de l’ICSN et de leurs collaborateurs.

[7]  Microorganismes accomplissant tout ou partie de leur cycle de vie à l’intérieur (endo) des tissus de la plante (phytón) sans causer de dommage à la plante-hôte

[8] https://mycor.nancy.inra.fr/IAM/?page_id=2000